Le Conseil national du 6 décembre a été l'épilogue un peu amer d'un Congrès raté de bout en bout. Martine Aubry, je l'avais dit il y a une semaine, était face à un dilemme: choisir le « grand rassemblement », notamment avec les amis de Ségolène Royal, au risque de l'artifice, ou bien s'appuyer prioritairement sur ses soutiens, les « reconstructeurs », en alliance avec les amis de Benoît Hamon et de Bertrand Delanoë, quitte à paraître un peu repliée ou à l'étroit. C'est cette dernière option qu'elle a retenue, en proposant une « feuille de route 2008-2011 », co-signée par elle et ces deux personnalités, et en composant une direction regroupant ces trois motions. Il était, dans ces conditions, logique que la réunion ait été tendue, les partisans de Ségolène Royal se plaignant, mi sincèrement, mi avec rouerie, d'avoir été écartés, les tenants de la nouvelle « majorité », qui n'avait pu se constituer en temps utile, à Reims, se trouvant un peu gênés aux entournures, enfermés dans le mauvais rôle des « verouilleurs » face aux « victimes ». Il est grand temps, maintenant, de sortir du petit jeu, un peu puéril et narcissique, du « c'est pas moi, c'est l'autre ». Que chacun, dans la nouvelle situation, se mette au travail. Le spectacle ne fut pas de grande qualité, l'atmosphère était froide, les médias sont sévères, bref rien de formidable. Pour ma part, j'ai voté le texte soumis au Conseil national par la nouvelle première secrétaire, et j'ai bien l'intention, dans les mois et années qui viennent, d'agir avec loyauté et dans la liberté.
Je serai loyal avec la nouvelle direction du parti, à la fois par tempérament et par devoir. Car, oui, c'est peut-être une de mes faiblesses – dont je suis à vrai dire plutôt fier – je ne fais pas partie des spécialistes du double langage, du billard à trois bandes, qui participent sans soutenir. La motion A, avec Bertrand Delanoë, a décidé de prendre sa place dans la nouvelle direction, dans la lucidité, sans oublier l'échec du Congrès et ses responsabilités. Nous aurions pu retenir une autre option, cela se discutait: on sait que, pour ce qui me concerne, sans jamais adhérer à la démarche de Ségolène Royal, sans lui conférer une aura de pureté, je me suis toujours refusé obstinément à réduire l'identité de cette motion au « TSS » - auquel nombre de nos militants n'ont d'ailleurs pas adhéré lors du vote sur la première secrétaire. Mais, dès lors que ce choix majoritaire, fut-il tardif et sans joie, a été fait, je le respecte. Au Bureau national, où je siègerai à nouveau, je serai solidaire de la direction – dès lors, bien sûr, que ses initiatives seront conformes aux engagements pris et se déploieront dans la clarté. Martine Aubry, que j'ai rencontrée, a annoncé à la fin de la réunion que je serai chargé « d'une des premières » conventions nationales organisées par le PS: même si j'aurais préféré connaître son thème et que ce soit la première, comme elle me l'avait laissé clairement entendre, je suis, et elle le sait, disponible, pour être utile au parti et l'aider à réussir.
Mais je serai aussi libre que loyal. Je ne serai pas membre du nouveau secrétariat national, alors que Martine Aubry m'a laissé la possibilité d'y demeurer, sans me faire toutefois de vraie proposition. En effet, pour dire le vrai – ici, je le peux et le dois – je ne me serais pas senti parfaitement à l'aise dans cette équipe, qui comprend des hommes et des femmes de qualité, mais dont le centre de gravité idéologique ne correspond pas tout-à-fait à mes convictions sociales-démocrates, et dans laquelle on retrouve à la fois de jeunes éléments à découvrir – ce que je ne suis plus – dont beaucoup ont été formés à l'UNEF-ID et au MJS, et des « reconstructeurs » plus que chevronnés et parfois un peu trop habiles – ce que je ne suis pas – dont je ne partage pas toutes les méthodes. J'aurais souhaité que soient davantage affirmés le réformisme conséquent, l'engagement européen, l'exigence intellectuelle, la vraie rénovation que nous avons défendus jadis avec DSK, à « Socialisme et démocratie », puis avec « Besoin de gauche » et dont je ne retrouve pas suffisamment l'ambition et la philosophie dans le texte voté samedi. Et je suis convaincu qu'il faudra, pour l'emporter en 2012, élever le niveau de notre jeu, nous ouvrir davantage – et d'abord à tous les socialistes – être à la fois une opposition forte et subtile – car nos concitoyens sont intelligents et l'attendent – et une force de proposition convaincante, face à la crise économique et sociale et dans les mutations du monde. Il y a aussi, je l'avoue, une dimension personnelle à cette légère prise de distance: aucune forme d'aigreur, malgré les mesquineries dont j'ai été l'objet – je souhaite à Jean-Christophe Cambadélis, qui me succède au secrétariat international du parti, d'y réussir – mais l'envie de respirer, de voyager, d'écrire, de sortir du bocal parfois confiné de « l'appareil » du PS, pour profiter davantage de mon mandat parlementaire et m'exprimer avec force à l'Assemblée nationale, pour me consacrer pleinement au pays de Montbéliard, pour vivre un peu plus, un peu mieux aussi, et ainsi retrouver la fraicheur et l'enthousiasme. J'ai aimé être secrétaire national, notamment à l'international, où j'ai travaillé avec une équipe formidable – Natalia, Edouard, Maurice, Karim, Pierre – que je remercie de m'avoir supporté et aidé. Mais poursuivre n'aurait eu de sens que dans le cadre d'un vrai rassemblement réformiste.
Loyauté, liberté: c'est ce que je souhaite aussi à « Besoin de gauche », au sein de la motion A. Car ce groupe cohérent, amical, vraiment jeune et féminin, lui, existe pleinement. Il est présent dans les instances du PS – une trentaine de membres au Conseil national et dans les différentes commissions du parti, 5 membres au Bureau national, 2 secrétaires nationales, Marisol Touraine et Cécile Ha Min Tuh. Il s'agit maintenant, après ce Congrès qui n'a pas été facile pour mes amis, mais qui leur a permis d'affirmer avec force une identité, une cohésion, de faire grandir « Besoin de gauche », d'étendre son réseau, de le constituer en force de proposition, d'élaboration intellectuelle, d'expression novatrice et sincère dans le débat public, capable de s'écarter du « politiquement correct » qui condamne à la médiocrité ou aux demi-vérités, sans tomber pour autant dans le cirque médiatique. C'est ce à quoi je vais m'employer avec conviction et sincérité. Je vous invite, si vous le désirez, à me rejoindre nombreux dans cette démarche. Je suis convaincu qu'elle a du sens.
Pierre Moscovici
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