Nicolas Sarkozy a vécu une année compliquée. On pourrait presque dire qu'il a été – politiquement s'entend – sauvé par la crise. Au printemps, le Président de la République se trouvait en effet en fâcheuse posture, son lien avec les Français, qui l'avaient bien élu un an auparavant, qui lui avaient accordé un crédit initial hors du commun, semblait irrémédiablement rompu. Les raisons de cette désaffection sont connues, elles sont profondes et n'ont pas, en réalité, vraiment disparu : je les ai analysées dans mon livre, « Le liquidateur », qui reste sur de nombreux points d'actualité. Résumons. Il y a, sans doute, eu le style, le « bling bling », l'affichage narcissique de la personne du chef de l'Etat, la familiarité avec les forces et les hommes d'argent, la fascination éhontée pour ce qui brille. Il y a, aussi, la conception du pouvoir, ultra-personnalisée, l'effacement du gouvernement, le mépris pour l'opposition, la gloire impudique des conseillers. Il y avait, surtout, l'échec d'une politique, à la fois menaçante pour les libertés, confuse à l'égard du monde et de l'Europe, injuste et inefficace sur le plan économique et social. De tout cela a découlé, au premier chef au moment des élections municipales de mars 2008, un immense ras le bol. Plus grave, s'est exprimée alors une vraie nausée, s'est manifesté un rejet puissant de cette politique mensongère, qui avait tourné le dos à l'engagement fondamental de la campagne présidentielle – la promesse du pouvoir d'achat, le fameux « travailler plus pour gagner plus », nié par le honteux et stupide « paquet fiscal » de l'été 2007. Les municipales – j'y reviens – furent un désaveu majeur pour la majorité, et ont débouché sur une gouvernance locale – Régions, Départements, Communautés urbaines et d'agglomération, Communes – dominée comme jamais par la gauche. L'impopularité du Président était alors abyssale, la descente aux enfers, le spectre du « one-term président » semblaient fatals. 9 mois plus tard, le paysage est différent. Nicolas Sarkozy n'est toujours pas aimé, mais il paraît redevenu crédible. C'est sans doute, anecdotiquement, le résultat d'une rectification formelle : un nouveau mariage, un peu plus de discrétion, sans doute un bonheur personnel ont conduit à une sobriété – relativement – plus grande. Mais c'est, avant tout, le fruit d'un travail politique, face à la crise économique et sociale, en tirant profit de l'aubaine de la Présidence française de l'Union européenne.
Le chef de l'Etat n'était sans doute pas taillé pour piloter une présidence en eaux calmes, il n'est pas un réformateur de fond : il n'en a ni le goût, ni le tempérament, ni le talent. La crise, qui a bousculé son agenda, lui a donné l'occasion de mettre en scène son principal atout : une inlassable énergie, servie par un sens inné de l'auto-promotion et par une rhétorique habile. L'argument de Nicolas Sarkozy, au fond, est toujours la même : « Vous ne m'aimez guère, vous ne m'admirez pas, mais vous savez que je mouille la chemise, que je traite les problèmes, que je suis là, bref que je suis plus fort que les autres ». Il l'a utilisé à l'échelle européenne, réussissant à faire passer pour un succès, y compris aux yeux de bons esprits, son plan de paix lors de la crise géorgienne, si complaisant envers la Russie, ou s'attribuant sans vergogne le mérite d'une sortie de la crise financière inventée par... le Premier ministre britannique, Gordon Brown. Il en a aussi usé et abusé au plan national, se vantant de tout bousculer, multipliant les initiatives et les plans, jusqu'à donner le tournis, se posant en pragmatique brutal avec les patrons, alors qu'en réalité il reste un fidèle ami du capitalisme rentier. Dans les temps troublés, la confiance va toujours vers ceux qui peuvent incarner une légitimité, qui parlent fort et – apparemment – clair, aux détenteurs d'une autorité revendiquée. Nicolas Sarkozy a bien compris cela, et a su, pendant cette crise qui aurait pu le balayer, gagner une « présidentialité » qui l'avait jusqu'alors fui.
Attention, toutefois, aux jugements hâtifs. Le « paria » du printemps 2008 – je l'avais écrit à l'époque – n'était pas dépourvu d'atouts – à commencer par l'exercice du pouvoir. Et le « superman » d'aujourd'hui n'est pas imbattable. Car la réalité est moins glorieuse que ne l'affirme le « storytelling » présidentiel. La relance européenne aura été de faible ampleur, Nicolas Sarkozy a durablement brouillé la France avec son partenaire essentiel, l'Allemagne, sans installer une nouvelle gouvernance efficace et démocratique de l'Union : sa présidence, certes volontaire, aura été égocentrique et confuse. Par ailleurs, la multiplication des annonces économiques et sociales ne pourra pas toujours masquer la faiblesse des moyens effectivement mis en oeuvre : la relance sarkozienne est homéopathique et déséquilibrée, négligeant le pouvoir d'achat, elle bute sur l'épuisement des marges de manoeuvre de nos finances publiques, rendues anémiques par près de 7 ans d'une mauvaise gestion de droite et par l'ineptie des choix initiaux du quinquennat en cours. Les Français sont peut-être encore bercés par la parole rassurante du chef de l'Etat, impressionnés par sa posture autoritaire et son inépuisable confiance en lui, ils ne sont pas dupes pour autant, ni satisfaits, ils ne sont pas tombés amoureux d'une politique qui ne les sert pas et produit peu de résultat. C'est pourquoi la gauche – dont l'inconsistance a puissamment aidé le sursaut sarkoziste – demeure, si toutefois elle sait se ressaisir, une force d'avenir en France et en Europe.
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