par pierre moscovici
"Depuis dimanche, je suis interpellé par des journalistes, des élus, des militants, des sympathisants qui me demandent ce que sera demain soir mon vote lors de l’élection du Premier secrétaire du Parti socialiste, ou qui m’appellent à me prononcer. Je comprends le désarroi qui s’exprime, je vois avec tristesse mes amis, parfois déchirés, toujours insatisfaits du choix qui leur est proposé, je connais leurs regrets de n’avoir pu se prononcer pour une autre candidature – la mienne a un moment donné, celle de Bertrand Delanoë ensuite. La tension monte, les arguments se durcissent, attaquent injustement l’honneur des personnes. Et pourtant, vraiment, je resterai sur ma position, ne donnerai aucune consigne, et donc aucune indication précise sur mon choix personnel – du moins au premier tour. Je vous explique pourquoi je m’en tiens là, et quel a été pour cela mon cheminement, différent de ceux de mes proches qui ont marqué, par conviction, une préférence pour tel ou tel candidat, ce que je comprends et respecte. Il y a, d’abord, la volonté de rester cohérent, d’un bout à l’autre de ce lamentable Congrès, avec les orientations que j’y ai défendues : si j’avais dû rejoindre Ségolène Royal, qui m’avait fait la proposition d’être le premier signataire de sa motion, ou Martine Aubry, que certains de ses amis ont voulu, sans lésiner sur les manœuvres, me contraindre à rallier, je l’aurais fait au stade du dépôt des motions. Or j’ai alors opté pour la motion A. J’aurais aussi pu le faire au Congrès de Reims lui-même : celui-ci, on le sait, s’est achevé sans synthèse.
Mais j’ai aussi des raisons plus profondes pour demeurer sur la réserve. La première est fondamentale : je ne suis en vérité convaincu, même par défaut, par aucune candidature ! Il faudrait, me dit-on, rallumer tous les soleils et les feux de l’amour avec Ségolène Royal, résister à l’envahisseur(e) et sauver le parti avec Martine Aubry, changer d’ère avec Benoît Hamon. Je me garderai pour ma part de tel ou tel lyrisme, de tout excès d’humeur ou d’indignité. Il ne s’agit pas de rejeter les personnes, ni de les idolâtrer, mais bien d’apprécier les démarches politiques. Aucune ne m’a entraîné au cours du Congrès, aucune ne me rassure tout à fait pour demain. Le Parti socialiste a tout à la fois besoin de préserver son identité, de rénover sa pensée et ses pratiques, de s’ouvrir au monde et aux Français, de s’adresser à eux avec un langage compréhensible, rigoureux, sincère. Aucune des offres soumises au vote des militants ne me paraît répondre, fût-ce de loin, à toutes ces exigences. Chaque candidature a ses mérites, évidents, mais aussi ses travers, qui le sont tout autant. Toutes posent des problèmes aigus, de nature différente, d’ampleur peut-être inégale, aucune n’offre une solution pleinement satisfaisante. Aucune ne mérite l’excommunication, aucune ne justifie la canonisation. On m’objectera, justement, que c’est toujours le cas en politique, qu’il faut choisir entre des inconvénients. Oui, sans doute, mais cette fois à un degré particulièrement élevé. Alors je voterai, bien sûr, je choisirai, sans doute, mais pas avec une conviction, ou au contraire un rejet, assez forts pour m’inciter à un prosélytisme quelconque.
Je suis bien conscient que je ne vous éclaire pas beaucoup par ces réflexions. J’ajoute donc une autre motivation à ma discrétion volontaire : je suis, d’ores et déjà, préoccupé par les conséquences du vote des 21 et 22 novembre et tourné vers ce qui s’ensuivra. Car le parti sera, de toute façon, très difficile à gouverner. Il y aura, quoi qu’il arrive, une forme de cohabitation entre un(e) premier(e) secrétaire issu(e) d’une motion plus ou moins minoritaire, et des instances nationales marquées à la fois par la fragmentation du vote du 6 novembre et par les stigmates d’une campagne pour le leadership qui se dramatise. Et le résultat, jeudi ou vendredi, devrait être suffisamment serré pour que les vaincus ne désarment pas, et s’installent dans une posture très critique – au mieux – à l’encontre de fragiles vainqueurs. Eh bien, je ne souhaite pas, en dévoilant un vote qui sera peu enthousiaste, contribuer à creuser encore ce fossé, en déroutant davantage certains de mes amis, déjà troublés. Il faudra, la semaine prochaine, rebâtir un dispositif socialiste capable de faire vivre ensemble des camarades qui ont montré, depuis des mois, qu’ils ne s’aimaient plus guère, aider le premier secrétaire, légitime mais vulnérable, qui aura été choisi par les militants, à surmonter les traumatismes d’un parti blessé. Et puis, il y a aussi, il y a surtout des lendemains à construire pour que le réformisme radical, cohérent et conséquent que je défends, pour que l’engagement européen auquel je tiens tant, pour que le socialisme du 21e siècle que nous devons penser deviennent, enfin, la ligne de conduite de la gauche, et lui permettent ainsi de proposer une alternative durable et crédible au sarkozisme. Or aucun des candidats restant en lice ne me semble porter suffisamment ces orientations. C’est à tout cela que je veux être utile, au sein de la motion A, avec « Besoin de gauche », en acceptant les choix divers, également respectables et également désolés, de chacun. C’est pourquoi mon silence – dont je n’exagère pas l’importance, mais qui est tout de même examiné de près – doit être compris pour ce qu’il est : ni une bouderie, ni un calcul, ni une prudence, moins encore une stratégie de carrière, mais une réserve d’avenir."
je soutient totalement la position de Pierre. Le parti est à reconstruire. Et nous continuons à penser qu'il doit être reconstruit sur des lignes politiques claires et non sur des combats d'égos.
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